La voie initiatique

 

La voie initiatique dans le Tarot de Marseille



Le Tarot de Marseille, longtemps utilisé comme un jeu de cartes, puis comme un outil divinatoire, se révèle être également – et sans doute avant tout - une œuvre philosophique et métaphysique. Il se présente, sous forme d’images symboliques - et tout particulièrement à travers les 22 arcanes majeurs - comme un manuel initiatique.
Les symboles offrent de nombreuses possibilités d’interprétation, ce qui confère au Tarot un inaltérable mystère, mais ce qui permet aussi, quand on tente de le déchiffrer, d’aller puiser à la source universelle de Connaissance. Même si cette tâche est en elle-même initiatique, le Tarot porte dans sa structure propre un message et peut se lire comme un récit, celui de l’éveil de l’être humain à son essence et à la réalité objective.

1-le-bateleur-1.jpgLe héros de ce récit - l’homme qui part à la découverte de lui-même et du sens de sa vie - apparaît avec le premier arcane majeur sous les traits du Bateleur, qui désigne, en ancien français, un faiseur de tours, un jongleur, un acrobate de foire, un prestidigitateur. L’homme ordinaire est montré comme un illusionniste car il est plongé dans le monde des apparences. Il évolue dans une réalité qu’il perçoit de manière subjective et sa personnalité est un rôle qu’il joue à ses semblables et à lui-même. L’arcane du Bateleur représente celui qui prend conscience de l’illusion dans laquelle il vit et qui doit (re)découvrir ce qu’il est vraiment s’il veut comprendre le sens de son existence.

Et justement, le Bateleur est un arcane de volonté et de désir. Il est associé au chiffre 1, qui donne l’impulsion et marque le départ de la quête. Séparé du réel par les voiles de ses nombreux conditionnements, qu’ils soient instinctifs, émotionnels, mentaux ou sensoriels, l’être humain ne peut s’éveiller, ne peut voir “ ce qui est ”, s’il n’en a pas le profond désir et s’il n’effectue aucun travail sur lui-même.

La carte figure un homme debout derrière une table qui manie des objets. Ces objets symboliques correspondent aux quatre emblèmes attribués aux arcanes mineurs, à savoir : la coupe, le denier, le bâton et l’épée. Ces symboles représentent les quatre éléments et sont associés, en psychologie jungienne, aux quatre fonctions du psychisme humain qui régissent nos comportements : coupe - eau : sentiment ; denier - terre : sensation ; bâton - feu : intuition ; épée - air : pensée.

Le Bateleur est un alchimiste : il doit effectuer la transmutation de ses fonctions psychiques afin de les faire passer de l’état de mécanismes échappant à son contrôle à celui d’instruments mis consciemment au service de la création, de l’expérimentation et de l’amour.

Tout au long de son apprentissage à travers les arcanes majeurs du Tarot, allégories des étapes et épreuves initiatiques de la vie, il se confronte ainsi à ce qui le compose. Son initiation s’effectue à travers des cycles et des passages qui permettent la transformation intérieure et l’intégration de la conscience éveillée, et se déroule comme suit :

II - la Papesse : Il a tout d’abord l’intuition du Soi, l’intuition de l’éveil. Il découvre son centre à travers un moment de recueillement, d’isolement, de méditation. C’est cette connaissance silencieuse qui lui donne foi en sa quête et le soutiendra par la suite.

III – l’Impératrice : Il s’applique à concevoir intellectuellement cette révélation et ses implications, il la mentalise, l’exprime, se documente. Il envisage les divers moyens mis à sa disposition pour faire évoluer sa conscience.

IV – l’Empereur : Il entre en action, s’engage sur la Voie. Il suit un maître ou un enseignement, pratique une discipline, structure son cheminement.

V – le Pape : Il fait une première expérience d’éveil à la réalité objective. Sa conscience adopte un point de vue global qui lui permet d’éprouver l’amour universel, la compassion et la compréhension sans jugement du monde, des autres et de lui-même.

VI – l’Amoureux : Il peut alors se confronter en conscience à ses émotions, ses désirs et ses mécanismes affectifs. Il traverse l’épreuve de la dualité entre raison et passion, entre sentiments et intellect, qui lui révèle les projections sur lesquelles il a fondé sa relation à l’autre.

VII – le Chariot : Il apprend à concilier ses antagonismes en étant à l’écoute de lui-même et de ses diverses aspirations, à équilibrer pulsions et réflexion, besoins personnels et don de soi. Il acquiert maîtrise et confiance en soi.

VIII – la Justice : Fort de cette maîtrise, il s’applique à être seul juge de lui-même, à ne pas tricher avec sa vérité, à faire preuve d’honnêteté, de lucidité et d’impeccabilité. Il vit un moment de bilan au cours duquel il pèse le poids de son engagement sur la Voie et de l’intégrité que cela requiert.

IX – l’Hermite : Ce besoin d’authenticité le pousse à se détacher de ses maîtres à penser et du savoir qu’il a accumulé pour suivre sa route éclairé par sa vérité intérieure. Il pratique l’introspection et la méditation. Il devient son propre guide.

X – la Roue de la Fortune : Un événement inattendu lui offre la possibilité de rompre avec les schémas qui se répètent dans sa vie et lui permet d’acquérir la conviction que ce n’est pas son ego qui régit son destin, mais le Soi.

XI – la Force : Il apprend à canaliser ses énergies, à maîtriser et diriger ses forces instinctives et sa libido avec douceur et compassion. Il expérimente le pouvoir de l’intention, de l’énergie créatrice.

XII – le Pendu : Il entre à présent dans la phase passive de l’initiation qui requiert de sa part confiance et acceptation. Sa volonté personnelle est mise à l’épreuve. Il doit lâcher prise, mettre momentanément ses désirs et ses aspirations de côté pour se rendre réceptif et disponible à l’inconu.

XIII – la Mort : Il traverse l’épreuve de la mort symbolique qui lui permet une profonde transformation : il cesse de s'identifier à l’individu créé de toutes pièces par l’éducation qu’il a reçue et les croyances qu’on lui a inculqués. Il cesse de se construire à travers le regard de ses parents, de son entourage et de la société pour renaître à lui-même.

XIV – la Tempérance : Cette renaissance amorce un nouvel équilibre. Il redécouvre avec un regard neuf son corps, ses énergies, ses dons, sa créativité. Il vit un moment de régénération et de purification au cours duquel il assimile ce qu’il a appris.

XV - le Diable : Il débusque son tyran intérieur, alimenté par les refoulements, les complexes, les désirs et ambitions non assumés. Il mesure pleinement la dualité et la subjectivité sur lesquelles il a construit sa perception du monde et de lui-même.

XVI – la Maison-Dieu : Cette prise de conscience vient frapper comme la foudre la tour illusoire de ses croyances et de sa suffisance. Il la quitte de son plein gré, plongeant en toute confiance vers le Réel.

XVII – l’Etoile : Il découvre alors la paix, la gratitude et la confiance que procure l’acceptation de ce qui est. Il goûte l’amour inconditionnel de l’existence, la beauté de la manifestation, la vérité de l’instant présent.

XVIII – la Lune : Armé de cette profonde sérénité, il descend au plus intime de lui-même, dans les parties les plus reculées de son inconscient, pour nettoyer sa source intérieure polluée par les toxines émotionnelles accumulées dans le passé et le karmique. Il transmute ainsi les énergies psychiques souterraines de l’imaginaire, des rêves et des fantasmes en richesse et en créativité.

XIX – Le Soleil : Il recueille les fruits de son travail d’introspection, de déconditionnement, de détachement et de nettoyage : il est illuminé par la lumière de la pleine conscience et de l’amour universel. Son lien de communication avec la Source, avec l’Unité, est restauré.

XX – le Jugement : Il s’éveille, il sait qui il est. Il sort du tombeau de l’inconscience, nu, tout neuf, car l’éveil, étant hors du temps, est toujours neuf.

XXI – le Monde : Le centre de sa conscience n’est plus le moi, mais le Soi. Il a réalisé et intégré la totalité de lui-même ; il est à la fois individué et indifférencié, unique et universel..

L’homme libéré de son état d’inconscience est symbolisé par l’arcane du Mat.

0-le-mat.jpgIl est vêtu de son habit de saltimbanque, indice qu’il n’a pas quitté le monde manifesté mais qu’il en est pleinement acteur, avec pour seule possession dans son baluchon la connaissance de sa nature véritable.

Le Mat est le seul des arcanes majeurs à ne pas avoir de numéro : il est inclassable. Il n’appartient pas à la réalité collective car il n’y est pas assujetti psychologiquement ; il ne peut donc être ni cerné, ni identifié selon les critères humains.

Le Mat n’est pas une étape initiatique, c’est un niveau de conscience. C’est l’état d’"êtreté", la capacité à éprouver l’intensité existentielle et à vivre ici et maintenant. Il symbolise le Bouddha, la conscience éveillée, l’être véritable. Il ne peut être placé à un endroit précis dans le jeu, car il en est l’âme, l’intention, le créateur.

La Conscience n’est pas un but en soi. Elle est l’essence de l’être. Le but de l’initiation est simplement de la découvrir. Si l’évolution de l’individu vers cette connaissance répond à des cycles et s’inscrit dans la durée, l’être éveillé, lui, est simplement là, permanent et intemporel.

Par son appellation qui rappelle le jeu d’échecs, cet arcane indique le lâcher prise de l’ego. Le roi est mat quand il ne peut plus bouger sans être pris. Le roi, c’est l’ego qui règne sur la personnalité et se comporte en despote chez l’individu non éveillé. Quand il est contraint de renoncer à son pouvoir, parce qu’il est “ pris ”, parce que la conscience vigilante s’est installée et repère toutes ses tentatives de domination, l’Etre est libéré. Le Mat représente ainsi le véritable lâcher prise, qui ne signifie pas la non-action et la passivité, mais l’abandon au flux de la vie et à l’essence (le Sens) de ce qui est. Il avance, il est en marche, il est au monde.

Sur la carte, un animal suit ses pas, mordillant son pantalon : l’homme réalisé ne renie pas son animalité (instincts et émotions) puisqu’elle est indissociable de son expérience d’être humain. Ill’a intégrée et il vit avec elle. Mais à la différence de l’homme endormi, il la maîtrise. Ce n’est plus l’animalité qui le dirige aveuglément. Elle est devenue une force créatrice qu’il sait utiliser avec sagesse ; il en a fait son alliée.
Appelé également le Fol ou le Fou, cet arcane évoque la folie contrôlée du chaman, la folle sagesse de celui qui connaît son être véritable et qui, sachant que tout est expérience, création et changement, est à la fois observateur et créateur sans limite de sa réalité.

.Le Tarot, livre initiatique présenté comme un jeu, évoque l’aspect ludique de l’existence. Même à travers les épreuves et les grandes révélations, l’apprenti-sage doit se rappeler que rien n’est grave et ne jamais se prendre au sérieux. L’appel de la conscience éveillée est impétueux comme le feu du désir qui caractérise le Bateleur. Mais si celui-ci se crispe sur sa quête et en fait une affaire grave et personnelle, il en bloquera ou ralentira le processus. On ne peut “ atteindre ” l’éveil, puisqu’il échappe par nature à toute notion de devenir, mais simplement le laisser se vivre, se révéler à travers nous. Notre seule tâche est d’accompagner son mouvement, comme le fait le Mat, avec confiance et innocence.

Suyin Lamour

 

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